lundi 19 février 2007

La Ve République en question

Cette élection sera, il me semble, importante du point de vue des institutions. La question de savoir s’il faut maintenir, altérer voire détruire l’édifice institutionnel se posera aux électeurs.
On sait que la candidate du Parti Socialiste s’est prononcée, de façon assez floue et indécise, pour une « nouvelle République. » Il faut d’ailleurs noter que son porte-parole, Arnaud Montebourg, est l’un des partisans ardents d’une « VIe République. » Pour ce qui est du candidat de l’UMP, il s’est régulièrement exprimé pour une nette présidentialisation du régime, appuyée par des modifications constitutionnelles. Quant à François Bayrou, il propose de soumettre par référendum une nouvelle Constitution, « assurant l'équilibre des pouvoirs entre le Président de la République et le Parlement et permettant le contrôle du gouvernement par l'Assemblée. »

Une Constitution solide et pérenne

Ma conviction est que la Constitution de 1958 a résisté à l’épreuve du temps, s’est montrée d’une grande souplesse au fil des ans autant que des configurations politiques, et qu’elle correspond à un socle stable, équilibré, durable, dont il n’est pas utile, pour le moment, de changer l’esprit. Cette aspiration n’est absolument pas de nature conservatrice : elle est surto
ut pragmatique. En effet, ce n’est pas en changeant les institutions que les problèmes de société trouveront de meilleures solutions : c’est aux hommes politiques d’en faire bon usage, et d’en utiliser les atouts pour faire avancer les réformes. D’autant que, pour ce qui concerne le rôle du chef de l’État, le texte de la Constitution peut donner lieu à suffisamment de nuances d’interprétation pour permettre à chacun d’orienter les pouvoirs publics sur la voie qui lui semble le plus conforme à l’intérêt général.
L’année prochaine, la Constitution aura cinquante ans. On aura certainement l’occasion de revenir sur les formidables apports dont elle a nourri et enrichi la vie politique française. Elle a notamment permis, exauçant là le vœu du général de Gaulle, de refonder un État vacillant, jadis ballotté au gré des alternances ministérielles (lot de la IIIe et de la IVe République), et de redonner à l’action publique une légitimité, ainsi que des impulsions fortes, régulières. En assurant au pouvoir exécutif une place centrale, elle conforte le primat de l’initiative sur l’immobilisme et empêche aux partis politiques, par le biais du Parlement, de paralyser le travail du gouvernement.
En ce sens, la proposition commune de Ségolène Royal et de François Bayrou visant à supprimer l’article 49-3 de la Co
nstitution n’est pas judicieuse : celui-ci permet au gouvernement de s’appuyer sur sa majorité pour faire passer un projet, en évitant, notamment, que l’opposition, par calcul, fasse obstruction.

Sarkozy, ou l’enterrement de la Ve République


Il est indispensable que chacun prenne conscience du fait que soutenir le candidat de l’UMP, c’est renoncer à l’esprit et à la lettre de la Constitution. Les déclarations de Nicolas Sarkozy sont, à cet égard, explicites. Que les gaullistes de l’UMP qui prétendent avoir obtenus, sur les institutions, des concessions du candidat, regardent la réalité en face et mesurent l’ampleur de leur échec. Ainsi, lors du Congrès du 14 janvier, le président de l’UMP déclarait :

« La démocratie irréprochable c’est un Président qui s’explique devant le Parlement. C’est un Président qui gouver
ne. C'est un président qui assume. On n'élit pas un arbitre mais un leader qui dira avant tout ce qu'il fera et surtout qui fera après tout ce qu'il aura dit ! »

Ces propos représentent la négation de l’esprit de la Constitution. J’ai relevé récemment, avec attention, les convictions exprimées par Alain Peyrefitte, en 1976, sur cet esprit, parce qu’elles appuient mon sentiment. Selon lui, moins le chef de l’État gouverne, plus il peut présider. Il est un gardien, un recours, un arbitre, - non un « leader. » Cette conception est celle des légitimistes, qui soutiennent que le Président de la République est celui de tous les Français, et qu’il ne doit œuvrer qu’au service de la nation, et dans l’intérêt de celle-ci.
Alain Peyrefitte pouvait là faire implicitement
référence à Valéry Giscard d’Estaing, centriste orléaniste qui faisait avancer la Ve République dans le sens de la présidentialisation. Le Président prenait, d’après lui, des décisions qui n’étaient pas de son niveau, et s’occupait de détails qui devaient être réglés par le chef du gouvernement, les ministres ou même à un niveau inférieur. Il n’était pas dans son rôle, celui de l’homme de la nation, qui doit s’élever au-dessus des petits problèmes et laisser la conduite de l’action gouvernementale au chef du gouvernement.
Autre point intéressant, M. Peyrefitte relevait que l’idée de présidentialisation s’inspirait du système américain. Or, il rappelait que les Etats-Unis, pays extrêmement décentralisé, étaient une fédération, composée de plusieurs dizaines d’États souverains dans le domaine de leurs co
mpétences, et que le pouvoir du Président était limité par l’existence de ces États puissants dans les attributions qui leur étaient réservées. Le Président américain ne s’occupe donc pas de détails, de la vie quotidienne, mais doit se cantonner dans un domaine réservée, celui des intérêts supérieurs de la nation.
Toujours d’après Alain Peyrefitte, président
ialiser la Ve République, c’est faire dévier le régime, en ce sens que l’on donne au Président des pouvoirs immensément étendus qu’il ne devrait pas avoir.

Je suis, pour ma part, résolument hostile à cette présidentialisation que Nicolas Sarkozy appelle de ses vœux, présidentialisation à l’américaine comme en témoigne la restriction autoritaire du nombr
e de mandats à deux. Cette dernière ne pourra qu’affaiblir considérablement le Président, ainsi que restreindre ses marges de manœuvre, dans les dernières années de son second mandat, son avenir politique étant systématiquement scellé. En effet, le président américain est traditionnellement un « lame duck », un canard boiteux, en fin de second mandat.

À cette extension des pouvoirs et cha
mps d’action du Président («[Il] devra s'engager non seulement sur les grandes options mais aussi sur tout ce qui concerne la vie quotidienne des Français, sur leurs souffrances, sur leurs aspirations», vœux à la presse pour 2006) s’ajoute, dans le projet de Nicolas Sarkozy, une diminution de ceux du Premier ministre. Il est ainsi proposé que le chef du gouvernement, - dont il est affirmé que la fonction doit être conservée, ce qui est déjà bien, - ne devienne plus qu’«un outil nécessaire à la coordination de l’équipe gouvernementale» (ibid.) Dans la même déclaration, figure cette précision :

« Une nouvelle rédaction de la Constitution devrait prévoir que le Premier ministre "coordonne l'action du gouvernement" a
lors que le texte actuel dispose qu'il la "dirige". Le gouvernement devrait être limité à une quinzaine de ministres pleins et le nombre de départements ministériels, ainsi que leurs attributions, fixés par une loi organique. »

Je remarque que cette restriction du nombre de ministr
es à une quinzaine n’a, du fait qu’elle soit imposée par la loi, que peu de sens, et qu’elle participe surtout d’une logique largement libérale: en diminuant le nombre de ministres, on restreint le nombre de représentants de l’État, donc on affaiblit l’État au profit d’autres acteurs. Ce n’est pas ce que je souhaite pour la France, qui doit avancer « sur deux jambes » : la liberté d’entreprendre et la propriété privée d’un côté, la solidarité et le sens du bien commun de l’autre.

Dominique de Villepin, ou la filiation gaulliste

Pour finir, le Premier ministre, s’il acceptait de mener cette bataille présidentielle, serait le seul candidat crédible susceptible de
renforcer la Ve République, et, éventuellement, de la moderniser sans en bouleverser l’esprit. Dans ses déclarations, il s’est, en tout cas, toujours montré soucieux de préserver cet équilibre qui a fait ses preuves, et notamment l’idée, spécifiquement française, de dyarchie entre le Président et le Premier ministre. S’il était élu, il est certain qu’il présiderait et ne gouvernerait pas : il deviendrait le Président de tous les Français, non celui d’un parti, d’une idéologie ou d’un clan. Il bâtirait l’avenir dans le cadre de son domaine réservé (terme crée par Jacques Chaban-Delmas), et laisserait au chef du gouvernement le soin de gouverner au quotidien et de régler les détails, les problèmes techniques. En ce sens, il serait le Président du Rassemblement, et du projet collectif. En outre, il veillerait « au respect de la Constitution », et assurerait, « par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'Etat. » Il serait « le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités. » Et nul doute qu’il serait scrupuleux sur la séparation des pouvoirs, - l’exécutif, le législatif et le judiciaire.
Pour le reste, ses compétences en matière de politique étrangère ne sont pas à démontrer, - ce qui contraste fortement avec tous les autres candidats, - et il a suffisamment de sagesse, de recul et de
sens de l’État pour conduire la France de façon juste et cohérente. Il ne dresserait pas une France contre l’autre, mais unirait les énergies au service d’une même ambition, qui transcenderait tous les clivages. Pour la défense de la Ve République et le Salut de la nation contre les périls de la division, la candidature de Dominique de Villepin s'impose.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Tout à fait en symbiose avec votre analyse, mais il faut que DdV se porte candidat... Cette décision lui revient. Comment le pousser à franchir le cap? Envoyer des mails sur le site du PM?
Du côté des 500 signatures, la logiqtique présidentielle peut probablement aider à les collecter. Mais quid du financement de la campagne ? Comme le précise R. Barre dans son livre d'entretien, on ne gagne pas "seul" une élection présidentielle....

Villèle a dit…

Je suis tout à fait d’accord pour dire qu’une candidature aussi tardive poserait d’importants problèmes logistiques… En effet, comment financer la campagne ? Comment organiser des meetings? Comment imprimer des affiches ?…

Villepin n’ayant pas de parti derrière lui, ni un rang épais de partisans, - comme il ne s’est pas encore déclaré, il est logique que les ralliements se soient orientés vers des candidats déjà investis, - sa campagne serait difficile à organiser…

Je n’ai pas de réponse miracle à ces questions. En tout cas, pour ce qui concerne les signatures, je sais qu’en une semaine il serait possible de les obtenir, surtout s’il bénéficie du soutien du Président.

Non, on ne gagne pas « seul » une élection, mais il est absolument certain que s’il se déclarait, de très nombreux citoyens se rangeraient à ses côtés (pour son courage, pour ses convictions, pour une 3e voie crédible), et que cette logique permettrait à certaines personnalités de le soutenir…

Après, comment le pousser à y aller ? Je pense en effet que lui écrire et que manifester, par là, un soutien actif est important. Mais c’est surtout à lui, en conscience, de prendre sa décision.

Anonyme a dit…

L'Express de la semaine dernière s'est penché sur l'éventuelle candidature de DdV... Il n'y croit pas et DdV n'y croit plus non plus... Il n'aurait d'ailleurs aucune chance d'être élu, mais les voix qu'il obtiendrait au détriment de Nicolas Sarkozy permettraient à Ségolène Royal d'accéder à la fonction suprême... Est-ce celà que vous voulez ?

Par ailleurs, Nicolas Sarkozy n'a jamais remis en question la 5ème République et sa vision du fonctionnement de l'Etat est conforme à celle du Général de Gaulle.